Ces propos ont pour but de savoir si le terme de secteur macaronésien marocain doit être ou non écarté ; les faits scientifiques sont exposés dans l’ordre chronologique.
En se basant sur la présence d’espèces macaronésiennes ou vicariantes d’espèces macaronésiennes, Braun-Blanquet et Maire (1924) ont été les premiers à considérer la présence au Maroc d’une enclave macaronésienne, localisée presque exclusivement dans le secteur de l’Arganier (Braun-Blanquet et Maire, loc. cit., page 64). Pour comprendre les affinités entre la côte atlantique sud-marocaine et les Canaries, Braun-Blanquet et Maire admettaient une connexion directe des îles avec le continent, certainement au Tertiaire. On sait aujourd’hui que les îles qui constituent les cinq archipels de la Macaranonésie* sont toutes d’origine volcanique, que leur âge varie de 0,27 Ma (île Pico, archipel des Açores) à 29,5 Ma (îles Selvagens) (Freitas et al., 2019) et qu’elles n'ont jamais été reliées à aucun continent.
Quelques années plus tard, le Catalogue des plantes du Maroc (Jahandiez & Maire, 1931, vol. 1 page XI) présente la carte des divisions géographiques du Maroc où figure un secteur macaronésien marocain. Les auteurs indiquent que la carte a été dressée à l’aide de la note de Maire et Emberger de 1928 qui donne une vue d’ensemble des connaissances phytogéographiques du Maroc de l’époque. Le document met en évidence le long du littoral atlantique, un secteur macaronésien marocain, allant du cap Cantin (cap Beddouza actuellement, au nord de Safi) à Agadir, justifié à cause de la proportion assez élevée de plantes canariennes entrant dans sa flore. Maire et Emberger loc. cit. (page 284) indiquent que ce secteur macaronésien marocain est pour le phytogéographe, inséparable des Canaries. Le Sous, caractérisé par la savane à Argania et Ziziphus, correspondant, selon ces auteurs, au secteur steppique austro-occidental.
En 1934, lors d’un congrès à Rabat, Emberger qui cherche à résumer les connaissances floristiques sur le Maroc, propose de diviser le Pays en six domaines floraux. Il reconnaît et seulement le long de la côte atlantique un secteur marocco-macaronésien et le caractérise par une liste d’espèces canariennes empruntée à la publication de Braun-Blanquet et Maire (1924). En revanche, le Sous est placé dans un domaine saharo-mauritanien, caractérisé par un contingent relativement élevé d’espèces tropicales ou se rattachant à des types tropicaux (Argania, Acacia gummifera, et les euphorbes cactiformes en faisant partie).
Dans une note de 1952, Sauvage rappelle l’existence le long de la côte atlantique marocaine d’une zone dénommée par les phytogéographes enclave macaronésienne. On peut y reconnaître 17 taxons endémiques communs entre cette partie de la côte et les îles de la Macaronésie et 12 vicariantes (Peltier, 1973).
Dans un ouvrage de synthèse, Monod (1957) propose les grandes divisions chorologiques de l’Afrique. Il reconnaît dans la région méditerranéenne et toujours uniquement le long de la côte atlantique, un domaine macaronésien.
En 1978, Quézel, lors d’une analyse de la flore méditerranéenne et saharienne du Maroc, fait référence également à un secteur macaronésien marocain, mais on the Atlantic coast of Morocco, especially in the Sous valley, whose essential physiognomic element is Argania spinosa. Ainsi définit, le secteur macaronésien marocain pénètre à l’intérieur des terres, jusque sur le revers occidental du Haut Atlas, mais également sur l’Anti-Atlas. Pour la première fois, il est écrit que le secteur macaronésien marocain correspond finalement à l’aire de distribution de l’Arganier. Avant 1978, tous les chercheurs limitaient le secteur macaronésien-marocain à une étroite bande côtière de la côte atlantique, depuis la province de Tarfaya au S jusqu’à Safi au N (Sauvage, 1952).
Sunding (1979), dans un article consacré à l’origine de la flore macaronésienne, considère que l’enclave marocaine fait partie de la Macaronésie (fig. 1) et Kunkel (1980) adopte ce point de vue (in Del Arco Aguilar & Rodriguez Delgado, 2018, page 51). Lobin (1982) et Biondi, et al. (1994) évoquent un secteur macaronésien marocain à cause du nombre important de taxons communs avec les îles macaronésiennes.
La carte des divisions biogéographiques du bassin versant de l’oued Sous (Peltier, 1982) a été établie selon les divisions proposées par Quézel (1978). Cependant, elle limite le secteur marocain macaronésien à une étroite bande littorale et sublittorale d’une trentaine de km, correspondant approximativement à la steppe à euphorbes cactiformes, steppe unique en Afrique du Nord, partagée avec les zones arides insulo-atlantiques des îles Canaries et de Madère (Le Houérou, 1995). Les parties internes du bassin versant du Sous correspondent au domaine méditerranéen nord-Africain (Quézel, 1978).
En 1982, Barbéro et al. analysent les structures phytosociologiques du Maroc sud-occidental marocain d’Essaouira à la vallée du Drâa sur le littoral, ainsi que dans la vallée du Sous. L’ordre des Acacio-Arganetalia est décrit, avec deux alliances (Acacion gummiferae et le Senecio anteuphorbii-arganion spinosae ). Sur le plan biogéographique, les auteurs indiquent que l’appartenance du sud-ouest marocain à la région méditerranéenne et non à la région macaronésienne est évidente (Barbéro et al., page 314) et que le terme de secteur macaronésien marocain devrait être proscrit (Barbéro et al., page 314).
En 1994, Benabid et Fennane résument nos connaissances sur la végétation du Maroc. Ils indiquent que l’Arganier est une caractéristique importante du secteur macaronésien marocain (p. 31). Par conséquent, la présence de ce secteur au Maroc est admise. Les auteurs indiquent que les groupements potentiels de ce secteur appartiennent, du point de vue phytosociologique, à l’ordre des Acacio-Arganetalia (Barbéro et al., 1982).
Gehu et Biondi (1996) décrivent les communautés végétales psammophiles des dunes et placages sableux des côtes du Sud-Ouest du Maroc. Leur originalité tient à la présence d’un pourcentage élevé d'espèces communes au Maroc et aux Canaries. Dans cette publication, il est fait référence à un Maroc dit macaronésien, mais les auteurs ne se prononcent pas clairement en faveur de la présence le long des côtes du Sud-Ouest du Maroc d’un secteur macaronésien marocain.
Kim et al. (1996), lors d’une étude sur le rayonnement adaptatif de Sonchus subg. Dendrosonchus aux Canaris et concernant la délimitation de l’aire de distribution de la Macaronésie, adopte le point de vue de Sunding (1979), reproduisant in extensola fig. 1 de sa publication.
En 1999, Quézel et Médail procèdent à une comparaison phytogéographique très fouillée du S.W. marocain et des îles Canaries, afin de déterminer si l’aire de distribution de l’Arganier dans les étages infra et thermo-méditerranéens arides et semi-arides doit ou non être incluse dans une sous-région macaronésienne. Cette analyse est basée sur la comparaison des spectres phytogéographiques, des attributs de vie des espèces (formes de croissance, succulence, dispersion) des structures végétales homologues.
La conclusion est sans appel : même si la présence d'espèces succulentes et les conditions climatiques particulières impliquent une relation étroite avec certaines zones des Canaries, le SW marocain doit être considéré comme une zone de refuge majeure d’espèces thermo-xérophiles (Euphorbia, Caralluma, Aeonium, Dracaena, etc.) du domaine méditerranéen nord-africain (Quézel & Médail, 2003, p. 64) et pas du tout comme une enclave macaronésienne au Maroc. Les principales caractéristiques de cette entité sont les pourcentages élevés d'annuelles et de phanérophytes indigènes méditerranéennes et le faible niveau de rayonnement adaptatif par rapport aux îles Canaries (Quézel et Médail, 1999).
En conclusion, la zone littorale et sub-littorale du sud-ouest du Maroc peut être considérée, du double point de vue physionomique et historique, comme une entité à affinité macaronésienne, au moins si on se réfère à la steppe à euphorbes cactiformes et pachycaules qui représente un type unique en Afrique du Nord. En revanche, d’un point de vue strictement phytogéographie et phytosociologique, le SW marocain ne correspond pas du tout à une enclave macaronésienne. Logiquement, la dernière synthèse sur les régions biogéographiques du monde place le sud-ouest du Maroc dans la région méditerranéenne (Loidi & Vynokurov, 2024)
*La Macaronésie est définie ici classiquement, en comparant la flore et la végétation des îles. La cohérence et la validité de la Macaronésie, en tant qu'unité biogéographique, sont remises en cause si on cherche à la définir à l’aide de groupes marins aux capacités de dispersion très différentes (Freitas et al. 2019).
Références
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Posted by Jean-Paul Peltier.